L’an prochain, la foire d’art contemporain 1-54 retournera à Marrakech. Une bonne raison de se précipiter chez Christie’s pour profiter de cette deuxième édition parisienne, riche en découvertes, qui pour la première fois s’ouvre au grand public.
Ce satané virus du Covid et sa litanie d’incertitudes ont parfois du bon. « Le Maroc ayant fermé ses frontières en novembre 2021, sans visibilité sur une date de réouverture, il était impossible de maintenir notre foire à Marrakech où elle se tient habituellement, regrette Touria El Glaoui, la fondatrice de ce rendez-vous dédié à l’art contemporain africain et à sa diaspora. Donc, rebelote. Pour la seconde année consécutive le salon prend ses quartiers dans le très chic 8e arrondissement, chez Christie’s. Et, soyons honnête, on ne boude pas notre plaisir à retrouver cette pépite de petite envergure (vingt-trois exposants), néanmoins immense par sa qualité et sa vitalité qui prouvent qu’aujourd’hui, « quiconque ignore le continent africain serait à côté de la plaque ».
Dès le premier stand, on est soufflé par les œuvres puissantes et fragiles de Joël Andrianomearisoa. L’artiste malgache, qui avait suscité l’admiration lors de la dernière Biennale de Venise avec une installation d’une imposante souplesse, dévoile ici des paysages abstraits, tout en délicatesse et lambeaux de textile, ébènes et écrus. Puis, très vite, la couleur s’impose, partout, insolente et inclusive. Dans les scènes mélangeant symbolisme et surréalisme du Marocain Anuar Khalifi (The Third Line) ou chez les portraitistes Adegboyega Adesina et Johnson Ocheja, deux peintres nigérians représentés par The Breeder (Athènes).
Des artistes et des galeristes jeunes
La chromie, le photographe Prince Gyasi en a fait le fil rouge de son travail. « Il est atteint de synesthésie, aussi les couleurs revêtent un sens particulier à ses yeux », explique son galeriste devant des images où toutes les teintes ont été bidouillées, sursaturées. Des rêves éveillés, un peu comme celui vécu par ce Ghanéen de 26 ans, qui a débuté au smartphone dans les rues d’Accra, expose aujourd’hui à Kyoto et explose sur les réseaux sociaux.
Cette année, plus que la précédente, on est frappé par la jeunesse des artistes, mais aussi des galeristes. À seulement 25 ans, Oyinkansola Dada est déjà à la tête de deux espaces, un premier ouvert à Lagos en 2019, et un second dans la foulée à Londres. Pour sa première participation à 1-54, elle présente quatre artistes prometteurs, originaires d’Angleterre, du Niger, de Jamaïque et du Sénégal. Une précocité impressionnante, qui va de pair avec une ouverture panafricaine de plus en plus prégnante.
Chez les galeristes français qui militent depuis longtemps pour la reconnaissance de ces plasticiens, les valeurs sûres et sucess story sont légion : Youssef Nabil et Seydou Keïta chez Nathalie Obadia, Aboudia et Ouattara Watts du côté de Cécile Fakhoury. Ou encore Roméo Mivekannin et Romuald Hazoumé sur le stand d’André Magnin. Ce dernier provoque tout de même la surprise avec Ana Silva, dont l’enfance laborieuse en Angola, la transmission des savoir-faire de mère en fille imprègnent les chatoyantes tapisseries sur sacs en plastique.
On l’avait déjà remarqué l’an passé, et cette édition le confirme : le tissage, la broderie sont indéniablement prisés par les artistes émergents qui réinvestissent ces anciennes techniques. À cet égard, il ne faut pas louper le travail d’un jeune plasticien ivoirien, repéré par l’œil expert de Simone Guirandou-N’Diaye qui œuvre à Abidjan depuis près de quarante ans. Son protégé, Ange Dakouo, s’est inspiré des amulettes des chasseurs dozos, en pliant des papiers journaux, ligotés avec du fil de couture, assemblés par dizaines. En admirant ces gris-gris géants, on espère secrètement qu’ils renferment une formule de protection, retardant le délitement des cultures ancestrales.
Du textile au texte, la frontière peut être mince. Ainsi Nicène Kossentini brode-t-elle des mots sur des plaques de verres, à partir des leçons de grammaire héritées de son grand-père. Des blocs de texte, superposés les uns aux autres, qui s’ombragent et murmurent des inquiétudes. Dans son pays, la Tunisie, de millénaires connaissances scientifiques et littéraires ont été gravées dans les livres, mais dans un arabe si ancien, que ses savoirs sont inaccessibles à ses contemporains. Une éloquente manière de parler du devenir complexe d’une nation qui cherche à se réécrire.